Atlas des rivières
de Bretagne Le Lapic
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Texte

André
Lapic

André et Maryse Seznec

 

Le Lapic

Que demande-t-il ?

Un cours d’eau c’est du boulot

Il faut l’entretenir

 

La prairie devient des friches sans animaux

Nous avons plus que des sangliers et des chevreuils

Des ragondins très dangereux

Les ragondins ce n’est pas vieux

Depuis 14 ans que nous avons arrêtés

Ils sont là

Un ragondin n’aime pas quand c’est propre

Il déménage

Il crée des terriers qui s’éboulent avec un trou d’un mètre de profondeur comme un puits à se casser les pattes

Nous on regarde la nature et on voit les changements

 

Ça a changé en quelques décennies

Dans la mesure où les agriculteurs n’ont plus d’animaux

Ils n’entretiennent plus

Et on a vu les algues dans le ruisseau depuis la station

 

Ici coule un affluent du Lapic

Le ruisseau arrive un peu plus bas dans le bois de pin

Il vient de la montagne de Locronan

Il démarre dans le granit

A Plonévez il est dans le schiste

Une vingtaine de petits ruisseaux se jettent dans le Lapic

 

Obligatoirement ça pousse

De l’herbe des ronces

Il faut broyer

Sinon le bois repart

 

J’ai connu un paysan qui coupait tout à la faucille la fougère comme litière pour ses animaux

Il est décédé

Et maintenant c’est du bois à couper

 

Un autre agriculteur

D’une prairie propre il avait ses vaches

Six hectares

Entretenus comme un jardin

A son départ il a planté des arbres dedans

Il a laissé comme ça

Un choix

 

Regard sur La pollution

On faisait des prélèvements de terre

Dans la prairie des résultats des plus élevés

Beaucoup d’azote

C’est triste

Avant avec les génisses

Elles prenaient l’herbe et l’exportaient

Là l’herbe fait de l’humus qui remet l’azote dans la rivière

 

 

Il y a de nombreuses prairies

A 20 mètres du ruisseau de chaque côté

Nous n’avons plus le droit de faire

Alors on remet de l’herbe

C’est tout

C’est devenu une contrainte

C’est compliqué

Pas de solution

Les élevages de porcs font que ces bas-fonds n’ont plus d’utilité

Nous on mettait les génisses dedans

Maintenant c’est un coin à ramasser les mures

 

C’est toutes des propriétés privées

Quand tu n’es plus chez toi tu es chez quelqu’un d’autre

On n’irait pas dans leur jardin

Une école était venue pour nettoyer

Faire un comptage de poissons

On ne les a jamais revus

 

Quand on est au bourg à tirer la chasse d’eau

Si on se disait qu’on pissait dans le Lapic

La lessive

 

 

Une station d’épuration

Elle fait ce qu’elle peut

Le phosphore et autre qui retournent à la rivière

Elle ne peut pas tout maitriser

 

Des projets de chemins

Il y a eu des projets de chemins de randonnée

Il y a 40 ans

Ça avait été refusé sur les plans

Les chemins de randonnée aboutissaient dans les cours de ferme

Les gens ont tendance à croire qu’ils sont chez eux

Les groupes de randonneurs avec leurs animaux

C’est compliqué de faire respecter les limites

De plus les gens ne se contentent pas de marcher

Ils déplacent

Font que les bêtes ne s’y retrouvent pas

 

Nous sommes confrontés à un problème d’incivilité

On ne peut pas gérer les gens

Certains savent-ils savent tout

Avant on ne savait pas

On demandait

Maintenant c’est « je sais »

 

Je fais partie d’un club de randonnée

On marche le long des talus

On ne traverse pas les champs de blé

On ne traverse pas les fermes

 

L’histoire d’une ferme près d’un cours d’eau

Les grands-parents ont acheté la ferme il y a plus de cent ans

Pas de route pour s’y rendre

Une ferme enclavée

Une autorisation leur était donnée sous réserve de marcher le plus près

Sur le dessus du talus

Pour nous c’est logique aujourd’hui mais il y a cent ans non

Il fallait préciser

 

Avant il n’y avait pas de routes

On passait de champ à champ

On longeait la prairie

Toute une histoire à faire revivre

Si on n’en parle pas on passe à côté

 

À partir de 1914

Les fermes de Plonévez se sont enrichies pendant la guerre de 14

Blé et avoine étaient réquisitionnés

Ils recevaient des bons ou de l’argent

Les femmes ont gardé l’argent et quand les hommes sont revenus leurs fermes ont pris de la valeur

Les gens étaient payés pour ce qu’ils produisaient

À partir de 1922 les terres étaient vendues aux métayers

 

Les années après-guerre

Le changement sous nos yeux

Quand je suis né en 54

j’avais les pieds dans la terre

Ça ne faisait que neuf ans que la guerre était terminée

On disait que les anciens racontaient des histoires

Mais quelles histoires

 

Et l’eau

On avait nos citernes derrière les bâtiments

L’eau on allait la chercher à la fontaine

Pas de machines à laver

Et l’eau à la pompe quand elle était gelée

 

Ce n’était pas drôle

Ils pompaient de l’eau pour la vache

« Elle a bu assez oui oui

Elle veut plus boire il en reste dans le sceau

Je peux boire »

Maintenant il suffit d’ouvrir le robinet

 

Mes parents étaient d’origine agricole

Mon père était employé dans les fermes

Et en 59 il se mit à son compte

 

Dans les années 60

On déviait le ruisseau

Il était canalisé pour longer la montagne

Il se retrouvait en haut de la prairie et redescendait pour avoir de l’herbe par l’irrigation

Des pratiques perdues au profit de l’engrais qui se récupérait avant dans l’eau

 

Pendant de nombreuses années j’ai participé à des concours agricoles

Jusqu’à Lyon

Je me suis beaucoup déplacé

Maintenant j’apprécie encore plus d’être là

 

En 50 ans j’ai vu de grands changements

J’ai vu l’électricité en 56

L’eau courante dans les années 60

Et tout ce qui s’est passé après

 

Le cours d’eau

Sans le ruisseau

Il n’y aurait eu pas toute cette vie

Il est un lieu de vie de rassemblement

Pour nous c’est naturel

J’adore revenir dans les bas-fonds parce que je jouais là quand j’avais dix ans

Avec mon grand bâton

Des lieux qui pour un gamin sont importants

Recirculer dans les bas-fonds me replonge dans mon enfance

me donne cet attachement à cette terre à ce cours d’eau

 

Le lavoir un point central

On remettait toute la lessive dans le lavoir et chacun se débrouillait pour retrouver sa petite culotte

Et les gamins riaient de cela

Il y avait des activités spéciales selon le lieu où on était

L’eau était un lieu de vie

On bouillait le linge pour qu’il soit bien blanc et on mettait des cubes bleus que j’ai ramenés de chez ma mère avec des souvenirs

Radio lavoir ça existait

Je n’ai pas le goût de me casser la tête pour savoir où va le Lapic

A six kilomètres on n’allait pas à la plage

Pas le temps

Pas l’envie

Pas le mode de vie

Mon grand-père s’y rendait seulement pour les moules et mon père aussi

Je pataugeais dans la rivière mais je ne m’y baignais pas

Pas assez

 

Je n’allais pas plus loin que ce que j’avais devant

L’aventure était là

Nous ne sommes jamais descendus jusqu’à la mer

Ni pêcheur ni chasseur mais observateur

 

Certains ont essayé de descendre le Lapic en rafting

Je ne sais pas où ils se sont arrêtés

Certaines périodes c’est navigable

Et c’était entretenu à cette époque

 

Je ne suis pas mer

Pas marin

Je suis eau douce

Agriculteur

 

Les conséquences du remembrement

Il fallait

En 74

Il fallait faire du lait du beurre nourrir des gens pour s’autosuffire

Il faillait produire

Il fallait le faire pour vendre

Les porcheries fonctionnaient pour les mêmes raisons

Il fallait nourrir

Et les gens continuaient à quitter les fermes parce qu’ils gagnaient leur vie ailleurs

On a vu le changement

Et quand on a arrêté

On nous a dit « vous avez tout faux »

« Vous avez pollué »

On a fait avec tout ce qu’on avait

Tout ce qu’on a pu

 

Je voyais

J’ai vu le Lapic à sec en 76

J’ai vu des vieux rosiers dans un coin d’un champ que j’ai travaillé

Je me demandais pourquoi ils étaient là

Mais avant il y avait une maison et une femme qui aimait les rosiers

 

J’ai connu un moulin en pierres de taille

Personne n’était intéressé pour le reprendre

Les parents ont voulu vendre

Un acheteur s’est présenté pour les cailloux

Le moulin fut rasé en 81

Et nous

Nous l’avons vu tourner en 73 lors de notre installation

 

Les agriculteurs prenaient un sac de blé et ramenaient un sac de farine

Des échanges qui existaient entre meuniers et agriculteurs

Il y avait beaucoup de moulins à une époque

Une grosse activité du coin

J’ai connu un tracteur un 2 cylindre qui faisait ron ron un Nanomac/Yanmar

J’ai vu mettre un filet au milieu du ruisseau pour avoir le poisson

 

Les moulins

Avec le temps qui se modernisait

Ils ne gagnaient pas leur vie

Les gens avaient leur propre moulin à la maison

Une logique

Vendre de la farine ça aurait pu mais ça ne l’a pas fait

Alors il faisait son électricité

Sont allés vivre au bourg

Un monsieur a acheté mais il n’a pas entretenu

Maintenant c’est en friche

 

Le moulin s’est arrêté il y a 25 ans

Le bief du moulin se trouvait un peu plus bas de notre prairie

De refaire les méandres fait qu’ils ont contournés le bief

Et maintenant le bief est recouvert de terre

Il n’y a pas eu de dérivation alors que les poissons passent à côté

Chaque génération croit bien faire et chaque nouvelle défait

 

Le bief était tellement beau

Bien fait

En pierres

Un ouvrage d’art

Il prenait une part de l’eau de la rivière

 

Les méandres coutent cher

Avant il y avait plein de poissons dans le cours d’eau

Un cours d’eau c’est naturel et doit le rester

Les aménagements sont-ils nécessaires

 

Dans les années 90 on avait dévié le ruisseau d’une vingtaine de mètres

Le ruisseau est revenu à sa place naturellement

On a demandé à le remettre droit avec autorisation

Que de papiers

 

Plein de choses qu’on ne comprend pas

Les poissons n’ont pas internet ils ne savent plus où aller

On a trop le bon sens paysan que beaucoup n’ont plus

Faut qu’on remette les bêtes dans les prairies

Mais si on n’a plus d’agriculteurs

Autour de nous plus de fermes

Ici on en vendait du lait entre les voisins

Trois troupeaux

150 vaches

Plus une seule

 

Depuis 50 ans

Six producteurs de lait

Tout le monde avait sa prairie

Des prairies occupées

Pour l’herbe ou le foin

Vaches et lapins

Et interdiction de couper l’herbe avant la Saint-Jean

Arrivé à ce stade de l’année les herbes ont grainé

Plus besoin de ressemer

 

À cette époque

Nous avions une plus grande liberté

Nous étions jeunes

Nous faisions ce que nous avions envie

Personne ne nous empêchait

Nous avions acheté des génisses au Canada

Deux bêtes

Le modèle hollandais ne nous convenait pas

Les vaches avaient les pieds trop fragiles pour le sol d’ici

 

En 78

Quand nous allions dans les concours au début nos deux vaches participaient seulement en présentation

Si on craquait une allumette elles disparaissaient

 

Nous avons été heureux en agriculture jusqu’en 85

Les quotas laitiers européens faisaient que nous jetions le lait après les traites pour ne pas payer des amendes pour avoir dépassé le quota

Traumatisant

On a souffert avec ça

On faisait circuler d’une ferme à l’autre

Ouvrir la vanne du tank à lait

Une honte

Ça blesse

C’est très dur à vivre

Un salaire à la poubelle

 

Le Lapic

Un cours d’eau a toujours attiré

Les garçons avaient le droit d’utiliser le couteau qui taillait les arbres

Pendant la lessive on faisait des barges des bateaux sur l’eau

On ramassait les têtards

C’était dur à comprendre pourquoi le bateau coulait

Mais par-dessus tout Il y avait la liberté

 

 

A cette époque

Les lignes de fond étaient autorisées

Un hameçon une ligne un piquet

Le lendemain un poisson

Le garde-pêche disait mais laissait faire

On mangeait le poisson

 

Il y avait beaucoup de coins où la misère s’installait

Pas d’aides comme aujourd’hui

On allait chercher des nids

 

Un cours d’eau est un lieu de rencontres

On avait fait un point d’eau dans la prairie pour irriguer le champ

Et des gens du bourg venaient s’y baigner

Ils n’avaient pas le temps d’aller à la plage

Et à sept heures du matin on allait chercher les anguilles

 

Il y a peu de temps

On a essayé de mettre des carpes mais il y a trop de canards poules d’eau hérons jusqu’aux cormorans

Il y a de la concurrence

Chacun a sa famille

 

Avant il y avait des étangs un peu partout pour nourrir les gens

Ils vidaient remettaient du fumier pour réactiver l’étang

Des vers pour que le poisson vienne

 

Des baux de neuf ans pour exploiter le moulin de Moëllien

Phares et balises sur RBO 92 interview de Georges Cadioux au mois de mars

 

De fédérer les associations pour faire quelque chose était facile

On a planté des potirons sur la ferme et les revenus se partageaient selon la participation

On a eu 80 personnes volontaires pour les ramasser

On a fait une foire avec plus de 4000 visiteurs

Une période qui avait marché

2km500 de bâches pour les potirons

Les années 98 étaient les bonnes années

 

Il y avait

Moins d’animaux plus de céréales plus de porcheries

Les vaches buvaient dans l’eau et elles nettoyaient pour s’approcher

Et une loi empêcha les vaches de boire dans les cours d’eau

Une pompe nous avait été proposée

Les machines n’avaient plus le droit de mettre des cultures au bord du ruisseau

 

Des agriculteurs qui plantaient du mais dans des zones humides et qui récoltaient une fois sur quatre

Mais quelle récolte

Avant nous avions le droit de le faire

Et nous l’avons fait un peu

Pas intensivement

Nous avions conscience que notre cours d’eau c’était la vie

 

Toute une génération s’est arrêtée il y a 14 ans

Toute une génération qui croyait qu’il était possible de vivre ensemble

 

Pendant le confinement on descendait aux prairies

On les longeait

J’ai retrouvé des gens dans les prairies

Une personne du bourg qui vit maintenant en Éthiopie

Quand il revient il va voir son frère qui est encore par là

 

Aujourd’hui

Une activité bovine et ovine plus dense serait un scandale

Et pourtant

Les buses viennent défaire les nids

Une concurrence malsaine

De plus en plus de prédateurs se montrent

Les petits oiseaux ont la misère avec d’autres

Des choses qu’il n’y avait pas avant

 

La voisine d’en bas avait des bouvreuils sur son terrain

Nous des chardonnerets un nid de mésange

Deux sont parties

Des campagnols sont venus dedans

 

Il n’y a pas que les activités agricoles qui ont détruit

Les animaux entre eux avec ce nouveau paysage se régulent différemment

Et nous sommes bientôt envahis par les lièvres

Même s’ils sont très sympathiques

Ils viennent se promener sur la pelouse

 

Un soir dans la cuisine la lumière allumée

Un lièvre se tenait sur la table

Et l’autre fois dans le garage

Leur gite se trouve sous les ormes dans les fermes

 

Les bords du Lapic sont des baignoires à sanglier

Ils se baignent dans les bas-fonds dans la boue

Beaucoup de traces des animaux

Des blaireaux tant que tant

 

Le Lapic fait partie de notre environnement

Une partie de notre vie

Un contact permanent avec les animaux et les prairies

Qui nous demande chaque jour d’apprendre à le respecter

 

Transmission

Les petites filles redécouvrent sur ce qu’on a vécu

Elles adorent

 

Quand la tempête s’est abattue ici

Notre fille de 49 ans pleurait parce que tous les arbres étaient par terre

On aime notre terre notre coin

 

Pour la connaitre il faut être proche de la terre

Nous dire il faut faire ceci cela mais que connaissent-ils de la nature

Pour apprendre

Il faut observer

Pour connaitre

Il faut passer du temps

 

Enfants et petits enfants

Notre fils il était toujours dans les prairies à jouer à sa fontaine

Une petite fontaine creusée dans le schiste

Des chevreuils qui venaient boire dedans

Des têtards qu’on déménageait de chez eux pour venir vivre dans cette fontaine

 

Nous nous sentons à part des gens qui n’ont pas accès à ça

 

Quand nos petits enfants sont là

Le gamin adore la nature regarde tout ce qui pousse

Il est heureux

Notre petite fille avait peur au début

On lui disait va jouer dehors

Elle avait peur d’aller plus loin

L’impression d’être limitée

Et nous non

 

Ce que je vois près du Lapic

Le matin je pars à 10h me promenant dans les prairies voir s’il y a du neuf

L’autre jour j’ai vu un renard

On est obligé d’être proches des animaux

Beaucoup de contacts

Mais nous n’avons pas de chiens ni de chats

Vivre ailleurs serait un peu comme vivre en prison

On n’est vraiment pas pressés de partir d’ici

Depuis la retraite on apprécie encore plus notre environnement

On le regarde encore plus

C’est maintenant qu’on est le mieux depuis qu’on est en retraite

On se trouve bien

On mange ce qu’il y a dans notre jardin

L’environnement nous a réparé

Nous nous sommes ressourcés

Et maintenant on sait que tout va bien

Nos enfants disent on a été heureux

 

On peut vivre différemment

Où que l’on soit on peut être bien là où on se trouve

 

Par où on passe ça donne la force

Une forme de résilience

Avant on ne faisait pas parce que le métier

 

On a la santé

Le cadre

L’environnement

Et la résilience

Il ne faut pas rester sans bouger sans vivre sans aller voir la rivière

Le problème des agriculteurs c’est qu’ils restent entre eux et vivent peu en extérieurs

Le périmètre la ferme point barre

 

Nous sommes dans le paysage

Nous faisons partie de l’environnement

 

Quand j’observe ce qui m’entoure toujours

Qu’est-ce que c’est beau chez nous

Pas de bruits

Les oiseaux

Le vent

Le chêne sur le talus

Un arbre remarquable de 300 ans

5,20 m de circonférence

Je lui parlais après la tempête dans les bas-fonds

Un pommier qui le squatte

En fleurs avec des pommes qui sortent

Un circuit de promenade

La végétation qui a beaucoup poussé

Et la rivière qui coule paisible